Épisode 4 du balado Capable, entreprendre sans limites, avec Mathieu Lamarche [Narrateur] Vous écoutez « Capable, entreprendre sans limites ». Un balado offert par le gouvernement du Québec. [Kim Auclair] - Aujourd'hui, le thème du balado est savoir se réinventer. Et j'ai avec moi, Mathieu Lamarche, président fondateur du groupe GDI. Bonjour Mathieu. [Mathieu Lamarche] - Bonjour. [Kim] - Écoute, Mathieu, est-ce que tu pourrais commencer en te présentant un peu et parler de ta différence, mais de ton parcours aussi? [Mathieu] - Ouais, ouais, bien sûr. Et merci de l'invitation, premièrement, c'est vraiment super. Oui, c'est ça, mon nom, c'est Mathieu Lamarche, je suis le président fondateur du Groupe GDI, entre autres, la compagnie que j'ai créée en 2010. Je suis tétraplégique. Quadraplégique, on le dit souvent, mais en fait, le vrai terme, c'est tétraplégique en français. Donc, j'ai une atteinte à la moelle épinière au niveau c6-c7, suite un accident de moto que j'ai eu en 2002. Ouais, juillet 2002. Donc, c'est ça, j'ai une atteinte aux membres supérieurs et inférieurs, je ne peux pas marcher, mais, mes bras bougent, mes doigts ne bougent pas par contre, ni mes triceps, mais, je suis très autonome. Je conduis ma voiture, je m'habille, je me couche le soir tout seul. Suite à mon accident que j'ai eu en 2002, dans ce temps-là, je faisais des études en finances, à la maîtrise, au niveau à l'UQAM. J'ai été admis en France et au HSE en même temps, j'étais en train de choisir lequel je voulais aller. Donc, mon accident de moto a vraiment tout chamboulé ces plans d'études. Donc, après environ un an et demi, deux ans de réadaptation, je suis retourné un petit peu à la vie de tous les jours, en me demandant ce que j'allais faire dans la vie après ça. De fil en aiguille, j'ai commencé à construire ma propre maison pour moi-même, en 2003, puis j'ai vraiment aimé l'expérience. Donc, retourner comme analyste financier, ça ne me tentait pas vraiment, de faire du 9 à 5, avoir un patron, je n'ai jamais été très bon avec l'autorité. C'est vrai que je me suis dit: « Je vais construire des maisons ». C'est comme ça que le Groupe GDI est parti, si on veut. Donc, au début, j'étais tout seul dans la compagnie. Je faisais tout moi-même, j'ai construit trois maisons unifamiliales à Saint-Jérôme. Ça a quand même bien été, mais, ce n'était pas vraiment ce que je voulais, puis un de mes amis, mon meilleur ami, Mathieu Jacques, m'a proposé de faire et dit : « Pourquoi tu ne ferais pas du multilogements à la place? Des plus gros projets. Comme ça t'aurais peut-être plus ta place dans l'organisation, etc. L'administration et tout ça » Sans aucune expérience là-dedans, zéro, je me suis lancé. J'ai été chercher ma licence à la RBQ, puis tranquillement, Groupe GDI s'est transformé plutôt en entrepreneur général au niveau des immeubles à multilogements. On a commencé à faire un 11 logements à Sainte-Agathe-des-Monts. J'avais acheté des plans tout faits. De fil en aiguille, des gens se sont greffés à la compagnie. Ma conjointe du temps, Kathy Boudreau, la première, Éric Desormeaux, un de mes amis aussi, comme gérant de chantier. En fait lui, c'était l'employé numéro 2, dans mon souvenir. Puis maintenant, on est rendu une dizaine au bureau et à l'administration. Le projet qui s'en vient va avoir environ une trentaine de menuisiers. Donc, c'est en fait, de fil en aiguille, la compagnie a beaucoup grossi. Je pourrais parler longtemps là-dessus, parce que c'est une dizaine d'années. GDI a 10 ans maintenant, un petit peu plus que 10 ans. Donc, en 10 ans on est passé de faire des projets de maisons unifamiliales, avec un chiffre d'affaires de 300 000 par année, à aujourd'hui, environ 30 000 000, [Kim] - Wow! [Mathieu] - des immeubles, on vient de finir un 322 logements. Donc, ces 10 années ont été vraiment intéressantes, mais aussi, beaucoup de challenges puis des défis dans tout ça. [Kim] - Puis, dirais-tu que ton côté finance, tu l'as rattrapé un peu dans, l'administration, la gestion de cette entreprise-là? [Mathieu] - Ouais, effectivement. J'ai été aussi musicien dans une autre vie. J'avais un groupe de musique qui s'appelait « Red Core », dont j'étais le bassiste et gérant. La construction m'apporte un côté créatif. Donc designer les immeubles, etc. Tu arrives où il a un terrain vague et puis quand tu finis il y a un immeuble. Et mon côté de l'administration et finance, que j'ai pu apporter mes connaissances là-dedans, fait que oui, ça allait chercher beaucoup de sphères que j'adore. Moi la compagnie, je ne travaille pas vraiment là. Je me lève le matin, puis je fais ce que j'ai à faire. J'adore, j'en mange. [Kim] - Ça a été quoi les défis de démarrer cette entreprise-là? Est-ce que tu as eu appel à des subventions, des ressources externes qui t'ont appuyé, comme entrepreneur avec un handicap? Ou tu es allé voir des ressources que tout le monde aurait droit, tout entrepreneur aurait droit? [Mathieu] - Non, je n'ai pas vraiment fait affaire avec des ressources spécifiques au handicap. Les défis, on a eu beaucoup au début, mais rien pour m'empêcher de faire ce que je voulais faire, mais, c'est stupide, mais sur les chantiers de construction, au début, j'étais tout seul, je n'avais pas de gérant de chantier, donc, je pognais des « flats », en pilant sur des clous et des vis. C'était drôle à tous les mois, j'avais des « flats » sur mes roues, mais non, j'ai pas vécu tant de difficultés par rapport à mon handicap, puis les ressources avec les standards, la banque, les amis qui m'ont prêté de l'argent, la famille, dans des périodes difficiles que j'ai dit on a tellement grossi vite, qu'on apprenait plus sur le tas beaucoup, alors j'ai fait beaucoup d'erreurs au début et on a frôlé la faillite deux fois vraiment solide. Fait que les amis, la famille m'ont aidé à passer au travers tout ça, mais pour finalement se rendre où on est rendu maintenant. Mais en tant que personne handicapée, ça jamais été un frein soit avec les fournisseurs ou les clients ou quoi que ce soit, j'ai jamais trouvé ça. [Kim] - T'as pas senti de préjugés dans le « avant » ou même toi, est-ce que tu avais certaines peurs, parce que le thème, c'est de savoir se réinventer quand même. Le fait d'avoir certaines peurs, le fait que tu es, soit à représenter ton entreprise, à faire le développement d'affaires, avais-tu peur qu'il y ait des préjugés par rapport à ta condition? [Mathieu] - Oui, je comprends. Non, jamais. J'ai jamais senti, j'avais pas d'appréhension non plus, je vis très bien avec mon handicap. Sérieusement, sans minimiser, parce que ça peut être difficile à vivre comme événement, mais c'est juste que je ne peux pas marcher, c'est tout là. Il y a des gens qui sont nés avec beaucoup plus de problèmes que moi, soit dans des pays comme je ne sais pas moi, la Syrie ou des pays en guerre ou dans une famille avec de la violence ou quoi que ce soit, tu sais. Moi, j'ai une super belle vie et la chance d'être entouré de ma famille, mes amis, puis la seule chose qui me diffère de mes amis, c'est que je ne peux pas marcher. Alors, je ne déplace en fauteuil roulant, c'est pour moi, c'est pas la fin du monde. [Kim] - C'est pas la fin du monde, mais quand même dirais-tu que dans le « avant-après », parce que j'ai lu beaucoup à ton sujet aussi, dans le avant-après, il y a une façon de voir la vie qui est différente aussi. Tu t'es donné une mission au travers de ton travail? [Mathieu] - Oui définitivement. Les premiers mois sont difficiles. Vraiment difficiles. Tu pars du jour au lendemain moi, j'étais « on top of the world » comme on dit, je veux dire, je commençais ma maîtrise, j'avais une super belle blonde, plein d'amis, j'avais une job super payante déjà. Je donnais des cours à l'université, sans avoir fini mon bac, et je donnais des cours au bac en faisant le bac, et du jour au lendemain, je pars de ça à « boum » tout arrête, et maintenant mon défi de la journée, c'est de prendre des petits blocs de bois dans un Tupperware, les mettre dans ceux à côté, je ne suis pas capable. Du jour au lendemain, tu as plus de contrôle sur ton corps, tu as des incontinences, tu te pisses dessus et tu sais ça te ramène à, ton égo revient à zéro là, tu sais, il faut que tu réinventes. Au début, c'était difficile, les premiers mois, mais assez rapidement, je dirais entre trois à six mois, j'ai réalisé que tu as deux choix là, soit que tu déprimes et tu focusses sur qu'est-ce que tu n'as pas, ou tu te retournes les manches et tu dis « OK, il me reste toute ma vie à vivre, je vais faire avec qu'est-ce que j'ai », tu sais. C'est le « mindset » que j'ai pris et après ça j'ai jamais regardé en arrière en fait là. Oui des fois, tu sais au début, je le voyais plus là, tu regardes au centre d'achats ou « whatever », tu sais, mais maintenant, je ne le vois plus du tout, puis par chance aussi, j'ai été super bien entouré, tu sais. Mes amis, ma famille, ils m'ont jamais pris en pitié, zéro, au contraire, mes chums font tout le temps des jokes par rapport à mon handicap tout ça et on en rit, tu sais. Alors vu que je vis très bien avec mon handicap, je pense que ça rend les gens à l'aise aussi, ça m'as jamais empêché exemple à rencontrer des filles, j'étais dans les bars avec mes chums puis souvent, j'étais celui qui poignait le plus de filles. [Kim] - C'est vrai? [Mathieu] - Parce que tu sais, je suis, d'après moi, je dégage pas de la demande de la pitié, ça doit paraitre d'après moi dans mon « day to day », que je suis cool avec ça pis que ce n'est pas la fin du monde. [Kim] - Par rapport à ta mission que tu t'es donnée aussi à ton travail, ça a été de rendre ça, les immeubles accessibles, pourrais-tu me passer, me parler comment t'as vécu ça justement l'accessibilité dans les immeubles et pourquoi ça t'a donné le goût aussi de bâtir des immeubles, d'inclure ça, de l'accessibilité? [Mathieu] - Oui, oui. Au début, ce n'était vraiment pas le plan de départ. Le premier immeuble que j'ai fait, il était zéro accessible, puis c'est là que je me suis rendu compte qu'après l'avoir construit, j'ai dit « hey ça fait pas de sens, je viens de le construire puis je ne peux même pas rentrer dedans tout seul. » Alors, je suis comme … « ouais ». Alors ça a été une prise de conscience après cet immeuble-là puis aussi, c'est là que j'ai comme développé un peu la vision à long terme de GDI parce qu'au début, j'étais quand même jeune quand j'ai commencé. Puis j'avais pas de grande vision au départ. Au début, au début, puis tranquillement, j'ai fait des longues, longues réflexions. Puis je me suis dit : « Il faut vraiment faire des immeubles 100 % accessibles, c'est, non seulement je vais pouvoir rentrer dans mes immeubles moi-même que j'ai construits, mais surtout les personnes handicapées vont pouvoir en profiter ». Tout ça, pour moi, c'est quand même important l'accessibilité. Tu t'en rends pas compte tant que tu le vis pas là, tu sais? Mais je me suis dit aussi que c'était une décision d'affaires simplement parce qu'au Québec, la population est vieillissante et les personnes préretraitées, retraitées, c'est la meilleure clientèle pour nous. Puis je me suis dit: « Bon, je fais des immeubles à 100 % accessibles ». Les gens vont pouvoir venir chez nous et se dire : « Je vais pouvoir vieillir à domicile, j'aurai pas à déménager si éventuellement je commence à perdre un peu d'autonomie » et aussi l'accessibilité, c'est pour aussi les gens en bénéficient comme une mère peut arriver avec ses enfants ou un père avec la commande dans les mains puis, tu ouvres la porte automatique avec le coude. Ça fait que l'autre aussi chose intéressante autre de l'accessibilité, des personnes handicapées. C'est un gros projet. Comme on vient de finir ce projet-là qui a coûté comme 85 millions. Mais tu sais, c'est quand même une goutte d'eau l'accessibilité, là, fait que c'est juste qu'il faut bien le faire. Puis souvent, c'est mal fait parce que c'est mal pensé du début. L'accessibilité, c'est vraiment le maillon le plus faible de la chaîne, détermine le niveau d'accessibilité. T'as bien beau mettre toutes les portes automatiques que tu veux, etc. Si ton seuil de porte à l'entrée il y a deux pouces, oui, c'est traversable avec un fauteuil, mais c'est vraiment difficile. Pour moi, un seuil de deux pouces à monter, je vais avec ma chaise, je vais le faire, mais c'est comme si toi, tu avais une clôture de quatre pieds à passer chaque matin quand tu sors de chez vous, tu peux le faire, mais c'est emmerdant, tu sais? Fait que moi, ma gang, sont super sensibilisés à ça, fait que nos immeubles sont vraiment 100 % accessibles pour de vrai. Et puis je pense qu'ils sont un petit peu un exemple à suivre pour d'autres entrepreneurs. Et souvent, on me consulte et on m'appelle pour me demander des conseils. [Kim] - Toi, tu as appris ça tout sur le tas, tu es allé voir des ressources? Avais-tu des organismes que t'as consultés justement pour avoir accès à de la documentation? C'est quoi les immeubles accessibles? [Mathieu] - Il y a un beau document du gouvernement qui s'appelle : « Un logis bien pensé », qui est super le fun. C'est un petit livret qui est disponible, que le gouvernement a fait. Puis ça, c'est super le fun. Ça donne plein d'idées et de choses que les gens pensent pas nécessairement parce que même les architectes ingénieurs ne sont pas nécessairement tous super sensibilisés par rapport à ça. Fait que moi, c'est pas avoir peur de consulter des gens, puis des organismes comme entre autres Société logique, puis d'autres qui peuvent aider des coups de main pour rendre un immeuble… Tu sais un immeuble, il va être là pour 100 ans, tu sais? Aussi bien le faire comme il faut dès le début. [Kim] - Fait que tu dirais vraiment que le fait de t'avoir réinventé autrement, ça a donné plus de sens? T'as l'impression d'avoir un impact beaucoup plus énorme dans ta façon d'entreprendre ou de vivre ta vie là? [Mathieu] - Oui, même si on a quand même peu de personnes à mobilité réduite dans nos immeubles, on en a quand même quelques-uns. Pour les personnes plus aussi… Les personnes âgées avec des marchettes et tout ça. Puis quand je vois qu'ils entrent dans notre immeuble de façon… C'est plus digne un peu que tu sais… Si tout le temps, il faut du monde, demander de l'aide à quelqu'un pour rentrer chez toi, c'est vraiment fatiguant. Fait que oui, ça je suis vraiment fier de… Nos immeubles sont bien construits, puis ils sont accessibles. Oui, c'est une source de fierté pour moi. [Kim] - Puis aujourd'hui, c'est sûr que tu en as parlé au début de l'entrevue. Ta définition du mot handicap, ça serait quoi pour toi si on te dit, tu es handicapé, c'est quoi pour toi? [Mathieu] - Handicap, c'est un gros mot, tu sais? Puis souvent, on pense handicap égal chaise roulante, mais tout le monde dans la vie, plein de gens dans la vie ont des handicaps, ils savent juste pas. Les gens qui s'imposent des propres limites. Ils peuvent marcher tout ça, mais ils disent : « Ah, j'aimerais ça, partir en affaires, mais non, je pense pas que je suis capable. Je ne prendrai pas le risque. » Fait qu'ils le font pas. Moi, je considère pas que je suis désavantagé par rapport à d'autres dans la société. Je ne peux juste pas marcher, mais je pense que je suis quelqu'un quand même de… Je suis dynamique, je suis entreprenant, puis je suis persévérant, fait que ça compense encore plus. Fait que non, je ne me vois pas en désavantage par rapport aux autres. Je ne me suis jamais considéré comme handicapé. Je marche pas debout, c'est tout. [Kim] - Là, on arrive déjà vers la fin de l'émission. Et ce que j'aimerais savoir, c'est parce que je pense que ça peut arriver à tout le monde d'avoir du jour au lendemain un accident ou quelque chose d'imprévu dans leur vie et qu'ils doivent se réinventer. Entreprendre peut être une façon de donner un sens meilleur à leur vie. Mais c'est sûr qu'il y a une petite période d'adaptation entre ça aussi, ça serait quoi les conseils que tu aurais à donner à toutes personnes qui veulent donner un nouveau sens à leur vie après avoir vécu un événement important comme le tien. [Mathieu] - Oui, oui, je côtoie beaucoup de personnes handicapées depuis peu parce que je suis le porte-parole de la « Fondation BMO Québec » pour la campagne de financement cette année. Puis ces gens-là ont vraiment leur place dans la société. Des fois, c'est toujours pas facile de se trouver un emploi dans le modèle standard de 9 à 5 dans un bureau. Tout ça fait que je pense que l'entrepreneuriat, c'est une bonne option pour les personnes avec un handicap physique ou mental. Je dirais le conseil, c'est vraiment de passer de 0 à 1. C'est de faire le premier pas, juste faire le premier pas. Tu commences, puis tu sais pas si ça va te mener où, peut-être que ça va marcher, peut-être que ça ne marchera pas, mais juste au moins commencer. Ça peut commencer super petit comme moi. J'ai commencé relativement petit, puis dix ans plus tard, c'est rendu gros, puis ma compagnie a pris son envol. Mais c'est vraiment de faire le premier pas par en avant, puis de pas avoir peur de l'échec. Ça marche pas, ça ne marche pas, mais tu auras essayé. Rien de pire que de se dire ah, j'aurais dû essayer il y a quinze ans de faire telle affaire. Tu l'essayes, ça marche pas, c'est pas la fin du monde. [Kim] - Bien merci beaucoup. [Mathieu] - Plaisir, Mes salutations. [Kim] - Merci d'avoir été avec nous. Je vous donne rendez-vous pour le prochain épisode du balado Capable. On va parler de la représentation du handicap dans les médias. [Narrateur] - Ce balado vous est offert par le gouvernement du Québec. [Votre gouvernement. Logo du gouvernement du Québec.]